Axe 1 – Esthétique
La théorie de la réception et le concept d’horizon d’attente élaboré par H. R. Jauss, inspirés d’Aristote, de P. Valéry et de H.-G. Gadamer, ont ouvert la voie à la prise en considération du public dans les études littéraires, puis dans les études culturelles avant d’être adaptés à l’étude des médias de masse. La « reader-response theory » fondée sur L’acte de lecture de W. Iser (1976), a donné lieu à d’autres travaux en cherchant, comme l’a souligné J. Tompkins (1980), à décrire « les diverses activités mentales » en cause dans la lecture d’un texte. Par la suite, se sont ajoutées les notions de compétence et de communauté interprétative, avancées par S. Fish (1980); de contrat de lecture, employé par E. Veron (1985), repris par V. Jouve (1993) et adapté par C. Bouko (2010) pour devenir contrat spectaculaire, ou théâtral; ainsi que les « histoires de réception » de S. Mailloux (1998). Ces chercheurs et bien d’autres ont bien vu l’intérêt de viser à une compréhension plus fine des mécanismes de la réception des objets culturels, dont la dimension esthétique et l’hétérogénéité ne sauraient être ignorées. Les travaux de l’école de Francfort (W. Benjamin, T.W. Adorno) sur l’instrumentalisation de la culture, l’apport de l’esthétique pragmatiste (J. Dewey, R. Shusterman, Y. Michaud) sur l’expérience esthétique et le phénomène d’esthétisation du banal, permettent d’approfondir et d’interroger encore pertinemment les revers d’une démocratisation de la réception esthétique et de faire le pont entre esthétique (axe 1) et communication et éducation (axe 2).
Axe 2 – Communication et éducation
Le deuxième axe concerne les médias et les savoirs puisque les médias et l’école jouent un rôle prépondérant dans la formation des connaissances des citoyens. Nous nous intéressons à l’éducation non formelle en particulier puisque le sujet de l’expérience culturelle est tantôt lecteur, spectateur, visiteur, contemplateur, joueur, gastronome, participant, etc. Le caractère hétérogène des pratiques du public n’est plus à démontrer. Quels sont les apports des institutions culturelles, de leur composante éducationnelle et de la communication à la question du partage social des savoirs ? Les différentes modalités d’éducation mises en œuvre consistent à familiariser avec le patrimoine, à apprendre à visiter et à conduire à la délectation. La notion de médiation se définit différemment selon les contextes. De manière plutôt consensuelle et pour la plupart des auteurs, la médiation implique le rapport entre un sujet (l’apprenant) et un objet (les savoirs). La médiation correspond aux dispositifs ou aux médias pensés et utilisés pour permettre aux publics d’accéder aux divers contenus exposés ou exhibés. Le médiateur qui souhaite rendre accessibles et compréhensibles les savoirs exhibés peut s’aider d’un support, d’un dispositif, d’une méthode afin de favoriser la compréhension, voire l’appropriation de ces savoirs. La première orientation concerne le travail de conception lié à ce savoir – produire le contenu scientifique à transmettre au visiteur à partir des expos ou des collections. La deuxième a trait aux publics destinataires du savoir – se préoccuper du public et impliquer les différentes catégories de visiteurs. La troisième relève des instruments avec lesquels ce savoir sera transmis et appréhendé – concevoir des outils, des méthodes ou des dispositifs qui permettront aux visiteurs de s’approprier effectivement les contenus de l’exposition –, le tout composant ce qu’il est convenu d’appeler le discours de médiation. Les intentions de la médiation sont susceptibles de diverger selon le contexte : il peut être celui de l’éducation formelle ou celui de l’éducation non formelle. Déjà en 1990, Jacobi et Schiele en s’intéressant à la vulgarisation scientifique proposent « de la séparer du champ de l’éducation dite formelle par exemple en utilisant un concept anglo-saxon : informal education (Lucas, 1983) dont la traduction littérale serait éducation informelle ». Ils considèrent que « qualifier cette “école parallèle” (Friedman, 1964) d’informelle pourrait laisser croire qu’elle n’est pas structurée, ni organisée, institutionnellement sans réelle consistance, ni moyens financiers… » Mais, tel n’est pas le cas des équipements culturels qui proposent notamment la communication et la divulgation de divers contenus scientifiques. Pour eux, il paraît « préférable de retenir le concept d’éducation non formelle (vs formelle) ». De plus, en poursuivant leur analyse relative à la vulgarisation scientifique, ils soutiennent que « [s]ous d’autres formes, dans d’autres lieux, avec d’autres moyens et d’autres méthodes, la vS [vulgarisation scientifique] se propose de contribuer à l’acculturation scientifique du public des non spécialistes (Lucas, 1983) » (Jacobi et Schiele, 1991, p. 84). Les musées et leurs expositions ne sauraient être confondus avec l’école. Ils appartiennent sans ambiguïté au champ de l’éducation non formelle (informal education). Au concept d’éducation non formelle surtout utilisé pour l’étude des musées, les chercheurs de notre laboratoire se proposent d’ajouter également la notion d’interprétation mise en avant dans plusieurs recherches américaines.
Axe 3 – Numérique
Depuis McLuhan (1964) et Debray (1991), on sait que les pratiques qui réunissent les publics de la culture reposent sur des technologies historiquement situées. Mais ceci est aussi vrai de l’étude des phénomènes culturels comme en témoignent les humanités numériques qui en ont bouleversé la saisie. L’une des particularités de ce laboratoire sera donc de prendre en considération les deux aspects de la question, à savoir le caractère technologique attaché aux pratiques culturelles et à la médiation culturelle elle-même, technologies aussi mises en avant dans l’étude de la culture. Ce renouveau vaut aussi bien pour les méthodes quantitatives, qui collectent des statistiques sur des pratiques culturelles, que pour les études qui décortiquent l’expérience esthétique ou le vécu des publics et non publics dans une perspective qualitative. D’ailleurs, notre intérêt pour la diversité des méthodes pousse les chercheurs de notre laboratoire à travailler sur l’apport potentiel des méthodes mixtes dans l’étude des publics de la culture. La création de ce laboratoire ne peut pas non plus ne pas prendre acte du profond impact de l’arrivée des technologies de l’information et des communications sur les activités culturelles. L’engouement des chercheurs à l’égard des usages du numérique en culture est partout : dans les musées (Tallon, 2008; Labrosse, 2009; Larouche, Boily et Vallières, 2012; Parry, 2013; Andreacola, 2014; Schmitt et Meyer-Chemenska, 2015; Fraysse, 2015), pour les pratiques numériques elles-mêmes dans un contexte de médiation (Visser et Richardson, 2013; Chicoineau, 2015; Donnat, 2017) et touche aussi le jeune public (Couillard et Nouvellon, 2013; Luherne, 2016). L’impact du numérique en musique est indéniable, puisque la diffusion a été directement touchée par les nouvelles plateformes offertes par les TIC (voir par exemple Sirois, 2016; Petri et Julien, 2017; Kirchberg, 2019). Les arts de la scène n’ont pas échappé au phénomène, puisqu’on s’est interrogé sur la présence du numérique dans les compagnies de cirque (Leroux et Baston, 2016), de danse (Germain-Thomas et Pagès, 2014) et de théâtre (Denizot, 2008; Bizouarn, Pailler et Urbain, 2016; Passot, 2016; Bellavoine et Wiart, 2016). Mais on ne s’est pas encore suffisamment intéressé aux avantages de ces technologies au chapitre du développement de public, malgré le fait que les organismes subventionnaires rendent de plus en plus leur soutien conditionnel à la démonstration par les compagnies de leur engagement dans une stratégie numérique. C’est une des lacunes à laquelle les chercheurs de cet axe aimeraient remédier. C’est d’autant plus pressant que le ministère de la Culture et des Communications du Québec (MCCQ) a adopté un Plan culturel numérique en septembre 2014 pour aider les milieux culturels à investir dans le numérique (MCCQ, 2019) et que le Conseil des arts du Canada (CAC) a également misé sur un fonds appelé « Stratégie numérique » en 2016, initiative qui vise à aider les bénéficiaires de subventions de base à évaluer leur préparation au numérique et à mettre en place une stratégie numérique (CAC, 2019). À l’heure où plusieurs universités et collèges offrent des formations alliant culture et numérique, il devient plus nécessaire que jamais d’approfondir notre réflexion sur les effets du numérique tant sur les pratiques culturelles que sur les cadres épistémologiques qui permettent de mieux les étudier.